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Camille Morel
Histoire d’un soldat de 1914

Un vol. in-18, Baconnier frères éd., Alger.

Un bon livre, écrit par un homme de cœur, sans passion ni rhétorique et qui ne veut avoir que la valeur d’un témoignage.

Dès les premiers jours de la guerre, grièvement blessé au combat de Lagarde, l’auteur fut fait prisonnier par les Allemands. Cet Algérien, habitué à considérer toutes les questions sous l’angle de l’objectivité, narre avec simplicité les péripéties de ses séjours dans les hôpitaux d’outre-Rhin, dans les camps de prisonniers et chez les paysans. Il a certes beaucoup souffert de cruelles blessures, mais reconnaît que les majors allemands l’ont fort bien soigné et qu’il eut à se louer de leurs infirmières. Dans les camps, les Français s’ingéniaient à tuer le temps; la nourriture était mauvaise ; même pendant la paix les Allemands n’ont jamais été difficiles sur ce chapitre; les pommes de terre bouillies et les tartines au saindoux sont le régal des classes laborieuses et ne plaraient que médiocrement aux nôtres. Les ragoûts de rutabaga et le pain K.K. n’offraient point d’attraits pour nos soldats; la population civile, qui souffrait de la sous-alimentation, avait l’accoutumance de telles horreurs. Devenu garçon de ferme improvisé, M. Camille Morel n’eut point à se plaindre des cultivateurs pour qui il travaillait. D’une façon générale, il semble que le petit peuple, en Allemagne, considérait les Français avec plus de sympathie que les Anglais et surtout que les Russes en qui il voyait de véritables sauvages. D’évidence, la guerre avait été déclenchée par la caste militaire, l’aristocratie prussienne et les spéculateurs de la Schwerindustrie.

Il n’y a point de longueurs dans cet ouvrage, d’une lecture facile et attrayante. J’estime qu’il devrait être introduit dans les bibliothèques de nos écoles, tant primaires que secondaires; les jeunes gens y
trouveraient un ‘exemple réconfortant de l’énergie vivace du Franco-Algérien et de la facilité, qu’il a de s’adapter aux conditions d’existence anormales et même rudes imposées par des événements qu’il ne pouvait prévoir. Un écrivain professionnel n’aurait pu, traitant un tel sujet, s’empêcher d’établir une philosophie et, pour le moins, de réformer l’Etat ou les moeurs. Notre auteur a fait mieux que de la littérature; sans s’en douter, naïvement, il a créé de la vie et avec une intensité d’émotion qui, parce qu’elle ne fut pas voulue, nous touche droit au cœur.

Robert Randau.

Source : Quotidien « L’Écho d’Alger » du 9 juin 1936 dans GALLICA